Le mirage de l'exclusivité sexuelle

Il m’aura fallu 30 ans de relations de couple, dont 20 avec Chérie, pour finalement tirer une conclusion aussi troublante que libératrice: je ne souhaite pas me soumettre à l’exclusivité sexuelle.

Je dis soumettre, parce que c’est justement la réalisation que l’exclusivité est une forme de restriction, d’oppression du désir dont l’effet est à ce point pervers qu’il m’a envoyé sur la piste de l’échec amoureux sans jamais se faire remarquer.

La frustration d’une vie sexuelle sans artifices, d’un espace intime désaffecté, dirigé par des conventions bien définies, organisé jusque dans le dernier détail. La levrette du samedi soir. La pipe-anniversaire.

La seule sphère où deux êtres en communion peuvent faire exploser leur personnalité, exposer au grand jour les espèces fascinantes qui peuplent leur jardin secret se trouve  mise sous tutelle au nom de la moralité, de la normalité et pourquoi pas, du commerce. Le dernier magazine féminin, une certaine pilule bleue, un abonnement à un site coquin, un jeu de société « pour raviver la flamme », ou une des nombreuses variations de la mercantilisation de l’espace intime.

J’ai vécu l’exclusivité comme un couvercle scellé sur la marmite de ma vie sexuelle. Danger d’explosion bien réel.

J’aimerai donc la refuser, cette exclusivité. Mais comme je suis dans une relation de couple, je dois plutôt demander à pouvoir la refuser. Parce que quand l’exclusivité sexuelle fait partie des fondations d’une relation – ce qui est le cas chez la vaste majorité des couples et certainement dans le mien – cette décision n’est pas une liberté qu’on puisse prendre unilatéralement. L’exclusivité est rarement consensuelle, au sens où elle ne se fait pas discuter, elle « vient avec » le magnifique accident qu’est tomber en amour. Mais la non-exclusivité ou non-monogamie elle, ne peut être que consensuelle pour être saine (ou « éthique » comme le veut l’expression désormais populaire de NME, ou non-monogamie éthique).

Sauf que ce n’est pas donné à tous d’avoir la clairvoyance, l’assurance ou même simplement l’honnêteté d’afficher ses attentes au début d’une relation, j’explore donc la questions sous l’angle du changement, de l’évolution d’un couple.

Peu importe la nature de l’engagement, mariés ou pas, on s’est engagés à mettre en commun des règles d’existences pour se donner les meilleures chances de bonheur. Si on peut avoir pris le temps de définir les structures de budget, les attentes de ménage, les règles de la belle-famille, et tant d’autres trucs tout aussi bidon qu’essentiels à une vie heureuse, c’est clair qu’on a jamais considéré la question de l’exclusivité sexuelle. J’ai un autre billet sur le pourquoi, je me concentre ici sur le comment.

Pour Chérie et moi, ce sujet n’a jamais fait surface. Pas une fois en plus de quinze ans.

Pourtant…

L’idée que Chérie soit tout pour moi, pour tout et en tout, qu’elle soit l’alpha et l’omega ne tient absolument pas la route. Notre partenaire comble certainement nos besoins les plus importants, ceux qui nécessitent d’être comblés pour vivre et pour vivre heureux. Mais pas tous les besoins. C’est tout simplement impossible.

J’aime beaucoup mon canif suisse, il me sert souvent et c’est parfait pour plein de situations quotidiennes. Je l’aime beaucoup, c’est ma Chérie qui me l’a offert. Mais l’autre jour, quand j’ai dû changer la transmission sur notre vieux tracteur, je me suis procuré un outil spécialisé. Il ne resservira probablement pas plus d’une fois, mais il a fait exactement le travail que j’attendais, sans me blesser, sans rien briser, sans me frustrer. Imaginez maintenant que Chérie explose de rage parce que je ne me suis pas contenté de mon canif suisse pour cette job. Après tout, c’est elle qui me l’a offert. Ça devrait combler tous mes besoins, non ?

Boîteuse l’analogie ? Oui, bien sûr, mais l’idée y est: on peut tracer une ligne droite, très droite même, entre l’insatisfaction et l’exclusivité sexuelle. Une ligne tellement droite, tellement rigide et tellement coupante, que je la pense coupable d’avoir brisé  un nombre immense de vies, de couples, de familles. On ne peut pas, on ne DOIT pas attendre de notre partenaire que tous nos besoins, tous nos désirs et toutes nos envies sexuelles soient comblées. C’est malhonnête de s’en convaincre et c’est surtout malhonnête de l’attendre de l’autre.

Si je suis aussi catégorique, aussi tranchant sur la question, c’est que je réalise de façon plus générale que l’asymétrie dans les couples est trop souvent ignorée et que l’asymétrie en sexualité, c’est le berceau de l’insatisfaction. Et l’insatisfaction, peu importe sa forme ou sa nature, ça gobe le bonheur comme le papier buvard. Non, je ne crois pas que pour qu’un couple soit heureux, il doit être ouvert, non exclusif et libertin. Maisoui, je suis convaincu que des tas de gens réussissent à naviguer sans trop d’embûches les différences qui les animent et le libertinage est définitivement une de ces avenues.

Le bonheur vit à toutes sortes d’enseignes, et si vous lisez ceci, il est probable que le concept d’ouverture vous interpelle déjà. Je vous propose donc de réfléchir au poids du contrat d’exclusivité sexuelle dans nos vies de couple. Que vous soyez satisfait sexuellement ou pas parce ce que vous offre votre partenaire, ayez le courage de voir si  c’est réciproque. Vous pourriez être surpris de la conversation…

C’est un des paradoxes du libertinage que ses mécanismes nous apparaissent beaucoup plus clairs avec des décennies d’expérience de vie, souvent au-travers de séparation amoureuse ou d’expériences douloureuses. Quand on me réfléchit au fait qu’on ne voit que rarement des gens dans la vingtaine dans les cercles libertins, je me dis généralement qu’ils n’en ont tout simplement pas besoin. Ou du moins, qu’ils ignorent à ce stade que ce besoin peut exister.  Si je retourne à cette époque de ma vie, je la sais pilotée par ces mêmes paramètres que je tente de remettre en selle maintenant: priorisation du plaisir, expérimentation plutôt que routine, découverte avant connaissance. Je crois par la bande qu’on associe souvent l’ouverture au libertinage au fameux « mid-life crisis« , cette période critique où nos choix de vie sont remis en cause, pour toutes les bonnes – et les moins bonnes – raisons. L’idée n’est pas un retour à l’adolescence mais plutôt d’utiliser une vie d’expériences pour la mettre au service de notre bien-être.

 

Exercice parfois inconfortable, souvent difficile, mais tellement positif 🙂