Le couple ouvert

Le milieu libertin raffole des étiquettes dont la définition varie largement en fonction des individus. Cela pour dire que la définition même d’un « couple ouvert » risque de varier d’une conversation à l’autre. Pour les besoins de la cause, la définition qui me plaît le plus est celle qui décrit un couple en tout autres aspects, mais qui a rejeté la monogamie sexuelle. Petit focus ici sur l’aspect sexuel: ouvrir son couple à de nouvelles relations émotionnelles tombe sous un tout autre jour. C’est ce qu’on décrit comme le polyamour, une dynamique fascinante elle aussi, mais pas le sujet de votre serviteur dévoué dans les lignes qui suivent 😉

De kossé ?

Que ce soit pour vivre ses fantasmes, pour assumer une bisexualité ou simplement pour cultiver la complicité, un couple ouvert, c’est un couple qui a choisi de ne pas enfermer sa sexualité dans les limites de leur seul partenaire.

Pourquoi ouvrir un couple ? Pas pour le sauver, ça c’est certain, nous y reviendrons.
Quand un couple choisis d’abandonner – ou de rejeter – le modèle de la monogamie sexuelle, les individus qui le forment acceptent une réalité que certains décrivent comme primant celle de la norme sociale: le besoin de séduire et d’avoir des relations sexuelles pour vivre une vie vraiment compléte et enrichissante. Si vous voulez y lire la primauté de l’instinct primitif sur celui de l’organisation sociale, il est probable que vous n’ayez pas tort…

Les raisons pour ouvrir son couple sont inombrables, mais mon observation c’est qu’elles viennent souvent – pas toujours – d’un contexte plutôt négatif. Besoin de changement, besoin de renouveau, besoin de découverte, on invoque souvent la nécessité de changer un statu quo plutôt que celle de la simple curiosité. Au final, peu importe la raison, ce qu’il faut considérer, c’est que l’exclusivité sexuelle n’offre aucune garantie de bonheur ou de longévité dans un couple. En fait, considérer la monogamie comme un rampart infranchissable, c’est se priver d’outils extraordinaires capables de fournir des résultats insoupçonnés. Si le libertinage n’est pas fait pour tout le monde, il est évident que la monogamie ou l’exclusivité sexuelle ne l’est pas non plus.

Ce que j’ai le plus entendu chez les femmes, c’est le besoin, le désir, que dis-je, la nécessité de reprendre contrôle de leur corps. Que ce soit parce qu’elles ont vécu des années de maternité ou qu’elles se sont oubliées dans leur relation, voire même qu’elle ne se sont jamais trouvées auparavant faute d’expériences, je remarque que les femmes sont souvent la force motrice de ce dialogue. Ou du moins, que l’aspect féminin de la conversation tend à chercher des solutions à des enjeux de fond. Des états qui durent depuis trop longtemps. Le fantasme lesbien occupe une grande place dans les conversations qui me parviennent, parfois par refuge d’une sexualité masculine oppressante, parfois par désir de se découvrir au travers d’un corps semblable.

Chez les hommes, on discute beaucoup « d’essayer autre chose », ce qui me fait dire que surtout chez ceux de mon âge, l’incapacité chronique à communiquer nos besoins et nos sentiments de façon positive et productive nous amène éventuellement au bord du précipice relationnel. On entend aussi pas mal d’hommes qui jettent finalement l’éponge sur des envies réprimées, souvent pour des décennies, de vivre leur fantasmes homosexuels. Ce point en particulier est pointu, difficile à saisir. L’insécurité masculine face à ses « désirs interdits » vire parfois au blocage…

On voit aussi – tous sexes confondus – les dynamiques d’asymétrie. Asymétrie d’expérience, de désirs, de fantasmes, d’habitudes, bref, la sexualité n’est à peu près jamais symétrique dans un couple. On attends que le partenaire comble des désirs qu’on a oublié d’exprimer. On veut voir notre partenaire essayer des choses qui lui sont inconnues. On essaie la même chose encore et encore avec l’espoir d’un résultat différent. Je ne m’étendrais pas sur le sujet, entre autres parce que je le fait ici, mais l’asymétrie sexuelle est une réalité auquel la société nous a interdit de penser. Après tout, si on s’aime, si nos coeurs se sont liés, c’est assurément que son pénis est parfait pour moi, que sa vulve ou ses seins sont exactement ceux de mes rêves, non ? S’il on s’aime vraiment, on va jouir tous les deux en même temps n’est-ce pas ? J’imagine que le propos est clair, pas besoin d’en ajouter !

Pourquoi alors ouvrir son couple ? Parce qu’au lieu de reproduire des patterns de comportement dont on sait précisément la conclusion, les gens qui prennent le temps d’un peu d’introspection tirent rapidement la conclusion qu’il y a, derrière ce grand rideau de la « moralité », un univers d’expériences et de vécus insoupçonnés.

Ou comme le disait le personnage de Marie-Hélène Thibault dans le film 23 décembre, « y’a pas juste un modèle qui marche mon grand… »

Location, location, location…

Vous connaissez le motto de tout bon agent immobilier ? Ce principe de valorisation qui écrase tous les autres combinés ?

Chez les libertins, c’est le même principe mais avec la communication. Communication, communication, communication… Rien, absolument rien n’est plus important que la communication. Le respect vous dites ? Impossible sans la communication. Le consentement alors ? Cet autre pilier du libertinage n’existe tout simplement pas sans communication.  

Communiquer, ce n’est pas entendre, c’est écouter. Ce n’est pas parler, c’est exprimer. Dans notre monde digital, on ne communique que très rarement. On échange de l’information, on coordonne, on transige. L’opportunité de communiquer réellement pour deux partenaires, surtout de longue date et encore plus avec des enfants ou des carrières prenantes dans le mix, est essentiellement inexistante, à moins de faire des efforts collossaux pour la créer, cette opportunité.

Plus facile à dire qu’à faire, on s’entend, mais tout passe par là. Impossible d’explorer le jardin secret de son partenaire sans avoir su exprimer son désir d’y entrer et sans avoir pu écouter les instructions pour y parvenir. L’aventure libertine exige une communication en continue. Avant, pendant, après. C’est une nécessité vitale pour que le plaisir s’accomplisse. Ce qu’il y a de fascinant, le « bonus » inespéré d’une ouverture réussie, c’est que comme une pompe qu’on amorce, la communication transparente, intègre et respectueuse va jouer un rôle dans toutes les sphères et dans tous les aspects de la vie commune. Le vrai bonheur d’un couple ouvert, il est dans cette confiance et cette communication qui coule, sans effort une fois qu’elle est lancée.

Rien à perdre, tout à gagner

L’ouverture de la sexualité d’un couple ne peut – ne doit – jamais se faire au coût d’un acquis. On ne va pas vers un nouveau partenaire en délaissant son partenaire de couple. On ne va pas vers de la sexualité de groupe en abandonnant l’intimité sexuelle du couple. On n’ouvre pas notre intimité à des étrangers en la coupant à notre meilleure moitié.

Quand plus haut je disais qu’on ouvre pas un couple pour le sauver, je veux surtout dire qu’on ne peut pas espérer que notre relation fleurisse et s’embelisse si le changement s’opère au détriment de ce qui était là avant. Ce n’est pas en doublant la ration d’eau qu’on va sauver la plante qui n’a plus de soleil. L’ouverture sexuelle peut sauver un couple, en grande partie à cause de l’effet de rapprochement d’une plus grande communication. Mais ouvrir un couple en se disant que ça va le sauver, c’est la même logique que de concevoir un enfant en pensant que ça va nous rapprocher, ou « prendre un break » sans se donner de date de retour ou de conditions de mise en pause. Tous les couples ne peuvent pas survivre. Pour que le plaisir et le bonheur jaillissent à nouveau, il faut qu’il en reste un peu tout de même…

Dans la démarche d’ouverture, particulièrement pour les couples de longue date, on redécouvre nos personnalités, notre évolution dans le temps, nos talents et nos faiblesses bien cachés. Le libertinage, c’est l’occasion d’enlever le « suit » de papa-maman ou de partenaires de vie pour découvrir qu’en-dessous, on portait encore nos habits de nouveaux amoureux. De gens nerveux, sur leur 31, qui faisaient le ménage avant l’arrivée de l’autre. Qui étaient horny à tout moment et à tout endroit. Qui bandaient à l’idée de découvrir ce que cachait cette robe moulante. Qui mouillait sa culotte en imaginant enfin sortir la bosse retenue dans ce pantalon. Mieux encore, quand on aura pris le temps de réapprivoiser nos petits êtres fringuants, on va retirer aussi le « suit » des amoureux, et comme les poupées russes, on va se retrouver avec l’essence de nous même. Avec moi, jeune, pas si beau, très fringuant, fendant et sûr de rien. Bandé à la seule idée de dézipper ta robe. Avec toi, tes fesses rondes, tes seins durs, ta curiosité indomptable pour ton corps et tout ce dont il est miraculeusement capable. Ta culotte trempée à l’idée de dézipper mon pantalon. On redécouvre le pouvoir spectaculaire de la séduction, cette potion magique qui nous coule dans les veines quand on se sent désiré-e plus que tout dans un instant précis.

Tout à gagner donc. À condition de faire l’effort de ne rien perdre. Ce n’est même pas si difficile que ça 🙂

Assurancetourisques 

Solution miracle donc ? Le libertinage c’est le paradis et personne ne le sait, c’est ça ?
Ben… non, pas tant. Le libertinage, ça peut aussi vite devenir un champ de mines. Et sans les bonnes habitudes et les bons outils, sans la sécurité d’une sexualité saine et sans le bénéfice d’une communication limpide, c’est même plutôt comme rentrer avec un énorme tracteur dans ledit champ de mines…

Toute bonne chose à un prix, et les risques du libertinage sont bien réels. En fait, ils sont d’autant plus importants à discuter qu’ils ne sont généralement pas ceux auxquels on pense en premier depuis notre univers « socio-normal » 🙂

Tomber amoureu-se ? Oui, bien sûr que c’est possible. En fait, quand ça fait bien longtemps qu’on a pas goûté à l’élixir de la séduction ou du désir viscéral, on peut même s’y méprendre ! Mais à bien y réfléchir, va vite se rendre compte que pour tomber amoureux, il faut être disponible émotionnellement. Et si on est en couple et qu’on se découvre disponible émotionnellement, c’est qu’en route on a oublié une étape, ou du moins c’est qu’on a d’autres réflexions à faire. On peut se découvrir polyamoureux. On peut aussi découvrir qu’il ne subsiste plus grand chose de ce qui nous a rapprochés au départ. Généralement, si on a pris le temps de s’observer et de communiquer, en couple et en solo, rien de tout cela ne se produit par surprise. Un risque donc, juste pas exactement celui qu’on imagine.

Les ITS ? Les bébittes, ça fait peur. En brisant le moule de notre intimité de couple, on va rapidement avoir peur de tout le monde, ou au contraire ne se méfier de personne… Les ITS existent pour tout le monde, jeunes et moins jeunes. L’art de naviguer la question des ITS réside beaucoup dans notre relation avec la notion de risque. Gérer du risque, on fait ça au quotidien. De traverser la rue à sauter en parachute, tout dans la vie humaine comprend un facteur de risque et récompense. Les ITS n’y échappent pas. Une réflexion et une conversation à avoir (hello la communication!), mais pas le danger clair et imminent qu’on pourrait imaginer.

L’asymétrie ? Hey, on dit que c’était une raison pour ouvrir le couple, là ça devient un risque aussi ? Ben oui. Parce que si on avait une relation bien équilibrée au départ, on peut se découvrir de l’asymétrie en cours de route: moi je veux une activité libertine toutes les semaines. Toi tu en veux deux ou trois fois par année. Moi je veux juste d’autres femmes. Toi tu me veux moi, mais avec d’autres hommes en même temps. Moi je trippe sur le BDSM, toi tu préfères la douceur des longues soirées de sexe paisible. L’ouverture d’esprit n’est pas que pour les autres: il faut l’appliquer à soi-même et à son partenaire, écouter, exprimer, laisser la place à ce qu’on aurait pas envisagé ou imaginé. Étrangement, ce risque qui paraît anodin semble, selon mes observations aucunement scientifique, être en cause dans bien plus de conflits de couples ouverts que toutes les autres réunies, à une exception notoire. Il convient de le prendre au sérieux et de garder un oeil sur l’évolution de votre cheminement individuel, pour s’assurer que l’élastique qui vous unis ne soit pas tendus au-delà de sa résilience.

La jalousie… Ah, la voilà la mauzusse. Cette exception dont je parle à la phrase précédente. De loin, la championne du foutage de merde dans un couple ouvert. « Mais comment » vous demandez-vous scandalisé-e « comment est-il possible que la jalousie soit un problème dans un couple qui s’est ouvert de plein gré ? ». N’oublions pas ce qu’est la jalousie: une réaction primale, animale presque, de protection d’un partenaire de reproduction. Difficile de mettre à table 10 000 d’évolution pour lui dire de se calmer les nerfs, il faut donc procéder autrement… Ça aussi j’ai un texte à ce sujet, sur la jalousie et sur son antidote, la compersion.

Mais la jalousie peut bel et bien apparaître là où on ne l’attendais pas. Un geste, une parole, un échange, un regard, peu importe le déclencheur, sa manifestation n’est jamais positive ou réfléchie, et généralement pas tant respectueuse. On ne contrôle pas la jalousie. On l’apprivoise, on la reconnaît, on la laisse se promener dans son box, mais on garde toujours un oeil dessus parce qu’on sait qu’il n’est pas fermé à clé, son box. Et c’est justement dans cet aspect de surprise qu’elle nous fait courir les plus grands dangers: quand la jalousie se manifeste d’une façon qu’on avait jamais vécue jusqu’ici, on risque de dire ou de faire des choses qui, rapidement après, vont nous apparaître un peu débile. En sachant qu’on peut prendre des mois ou des années à bâtir le degré de confiance et d’échange nécessaire pour s’offrir le bonheur par la liberté sexuelle, voir tout le travail s’effondrer en quelques secondes peut laisser des séquelles sévères. Et permanentes.

Prenez la jalousie au sérieux. Toujours. Vous verrez rapidement que dans l’univers libertin, elle ne se manifeste que très rarement autour de la sexualité, et presque toujours autour de l’intimité. Qu’est-ce que je veux dire ? J’adore voir Chérie s’offrir à un homme, voire plusieurs en même temps. Mais si je ne survivrai pas à la surprendre en train de frencher un collègue à la sortie du bureau… Avez-vous considérer la différence entre baiser (ou jouer) et faire l’amour ? C’est la même chose. Je peux jouer avec autant de gens qu’on peut en rentrer dans la pièce, mais je ne sais faire l’amour, avec mon coeur plus qu’avec mon corps, à une seule personne 🙂

Reclaim sex !

Vous connaissez le « make-up sex » ? Cette baise magnifique, souvent un brin sauvage, parce qu’elle est alimentée d’un cocktail d’émotions, de colère, de tristesse, de détresse, mais aussi d’amour, de besoin affectif, de désir de pardon… C’est la mixture qui rend la chose aussi spéciale.

Le « reclaim sex », c’est pareil, mais imaginez que plutôt que de mélanger à votre libido des émotions négatives, vous l’alimentez d’un tas d’émotions positives ! J’aime baiser avec des ami-es. J’adore voir Chérie mordre dans son plaisir sans la moindre retenue. Mais une fois la visite partie, le linge à terre ramassé et les verres au lave-vaisselle. Ou le lendemain, ou dès le retour à la maison, il y a une baise absolument délicieuse à avoir, un orgasme qui baigne dans le sentimement d’une complicité impossible à partager avec quiconque n’est pas l’élu-e de notre vie. Chérie ne m’appartient pas. Chérie dispose de son corps comme elle en a envie, c’est son droit le plus fondamental. Mais quand Chérie reviens vers moi ou moi vers elle, après une soirée coquine, on se réapproprie l’autre, comme pour remettre un joyau dans son écrin après une grande fête où tous les excès étaient permis. Les mots ne rendent pas justice à ce feeling que seuls les libertins amoureux peuvent expérimenter.

Le cliché fait grincer des dents, mais son fondement n’en est pas moins vrai: quand on aime, on ne retient pas. Parce qu’il n’y pas de plus grand plaisir que de le redécouvrir comme la première fois.