Asymétrie sexuelle

Un des mensonges les plus spectaculaires auquel on fait face dans la vie de couple, c’est l’égalité… Pas l’équité, ça c’est définitivement un idéal, un requis en fait. Non, je parle de l’égalité entre les partenaires. L’idée qu’on soit au même niveau sur un sujet donné. Au même point dans notre tête, dans notre cœur et dans notre corps.

Pour moi, la prémisse d’une attirance, particulièrement amoureuse, passe par une composante de complémentarité ou de similitude. Ou bien on a quelque chose de précieux en commun, ou bien l’autre nous complète, nous apporte spécifiquement ce que nous n’avons pas. Certains diraient même que toutes les relations ont en commun ces deux éléments. En partant de cette idée, on devine pourtant assez rapidement le problème: si notre attirance repose sur la communalité, il y a fort à a parier que ledit intérêt ne sera pas « égal »: l’autre aura plus ou moins d’expérience, de connaissance, d’expertise, de vécu, bref ne sera pas au même niveau que nous. Évidemment, si l’attrait vient d’une complémentarité, le phénomène est alors intrinsèquement vrai.

J’aime les analogies tordues et je ne vous épargnerai pas ici. Voici mes pilotes d’avion. Il y a toujours deux pilotes, dont chacun possède la compétence de piloter l’avion, sans nécessairement avoir besoin de l’autre. S’ils ont les mêmes connaissances et clairement le même intérêt en commun, leur perspective va varier, de beaucoup même, en fonction de l’état de l’appareil, du moment du vol, des manœuvres a effectuer ou des problèmes rencontrés. Ils sont la somme de leurs expériences individuelles et dans le contexte du cockpit, on a géré leur asymétrie de façon organisationnelle: l’un est capitaine, l’autre est premier officier.

S’il est inévitable qu’un couple uni et amoureux trouvera plus de point d’égalité que de disparités, le mensonge c’est de se dire que cela est vrai à travers le temps. Avec notre évolution et notre cheminement personnel, nos intérêts, nos passions, nos talents, nos désirs évoluent eux aussi, et pas toujours dans la même direction que l’autre…

Voici donc le concept de l’assymétrie: l’idée que, à et pendant certains moments de vie commune, les intérêts peuvent être à ce point divergent qu’ils peuvent même finir en opposition.

Là aussi, j’ai une belle analogie d’aviation à sortir: si les deux moteurs poussent dans la même direction, on va où on veut, comme on veut, rapidement et efficacement.

Si un moteur pousse moins fort que l’autre, les pilotes devront gérer une « poussée asymétrique », les deux moteurs veulent bien aller dans la même direction, mais ne participent pas également à l’effort pour y arriver. Souvent on ralenti, on corrige la trajectoire. On peut même décider de modifier la destination, juste au cas. Juste pour pas empirer la situation.

Parfois un moteur cesse de fonctionner. L’autre va faire tout le travail et plus encore. La survie de l’appareil n’est pas nécessairement compromise, mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’une fois au sol, on enlèvera le moteur qui a cessé de fonctionner. Idéalement en le remplaçant par un autre. Une situation tristement banale…

Et plus rarement, deux moteurs qui fonctionnent parfaitement bien, poussent dans des directions opposées. Ayant perdu la trace de leur objectif commun ou du chemin à suivre pour y parvenir, ils travaillent fort, très fort, sans réaliser que leurs efforts sont faits aux dépends de ceux de l’autre.

Transposons à la sexualité de couple: si dans la « lune de miel » du couple, on voulait simplement « faire l’amour » peu importe ce que cela voulait dire, cela fait belle lurette qu’on a évolué dans nos désirs et nos attentes. Parfois on veut faire l’amour, parfois on veut baiser, parfois on veut juste jouir. En solo s’il le faut… Imaginer que notre sexualité est statique, ou pire encore qu’elle est couplée à celle de l’autre, c’est complètement perdre de vue notre individualité, les raisons même pour lesquelles l’autre nous a choisi pour partager sa vie.

On pousse tous les deux pour la même chose ? Bravo. Tout va bien dans le meilleur de mondes. En prenant le temps de se rappeler d’innover un peu pour pas tomber dans l’ornière de la levrette du samedi ou de la pipe anniversaire, on a les meilleures chances de faire évoluer sa sexualité, celle de son partenaire et celle de notre couple de façon super satisfaisante. On décide d’essayer un truc, on en parle, on assume, on accepte. Le « butt stuff » ça donne pas ce que tu pensais ? Pas grave. On a essayé, on a rit, on passe à autre chose. L’analogie aérienne s’écrase ici: si pour les avions c’est la situation la plus commune, d’être unis et forts, vous aurez compris que ce n’est pas exactement ce qui est le plus commun chez les couples d’humains faits de chair et d’os.

Plus souvent qu’autrement, y’a des maudites chances que l’un ou l’autre partenaire pousse plus ou moins. Que la question de la sexualité soit devenue pour l’un, une source d’insatisfactions ou de déception, pour l’autre, un sujet confortable, sans questions, bref sur le pilote automatique. L’effort asymétrique peut durer un temps, longtemps même, mais si on ne fait rien, si on laisse simplement les chose en l’état, tout va s’user plus vite. Vous avez déjà parlé de l’usure d’un couple ? Pariez que les efforts asymétriques contribuent largement à la chose.

Parfois, on va voir que le moteur qui ne poussait pas fort cesse de fonctionner. Subitement, ou sur longtemps, mais ce qui était un irritant est devenu un problème. À régler quand l’autre aura décidé que l’effort n’en vaut plus le résultat. On va probablement s’en séparer. Si on a de la chance, le remplacer. Pas besoin de développer bien loin sur le sujet, juste en lisant ces trois lignes, au moins deux ou trois noms de votre entourage vous sont venus à l’esprit.

Et le dernier scénario, celui de tous les dangers, c’est celui où les partenaires poussent, fort et bien, pour des objectifs qui ne sont plus communs. Pour des désirs qui ne sont plus partagés, des envie qui au lieu de rassembler, éloignent. C’est une situation qui peut avoir l’air géniale, enviable, jusqu’à ce qu’on se rende compte de l’erreur, de la profondeur de l’assymétrie. Souvent, il est trop tard, et l’irréparable a été commis.

Dans un couple, il est normal, en fait je vais reformuler, il est attendu, prévisible, garanti même, qu’un partenaire va éventuellement développer un intérêt pour des pratiques, des gens, des activités, bref des goûts qui ne seront plus « égaux » aux goûts de l’autre. L’assymétrie doit être observée, et comme nos deux pilotes, on doit prendre le temps d’observer la situation pour appliquer les correctifs qu’elle exige pour ne pas s’écraser en flamme.

Dramatique vous dites ? Laissez-moi vous parler de cette quantité de couples qui « sont rendus là »… Qu’il soit question d’acheter une maison, de faire un enfant, de prendre sa retraite ou de planifier un trip à trois, vous avez inévitablement observé que le « on » du couple pèse souvent plus lourd pour l’un que pour l’autre.

Dans bon nombre de nos soirées coquines, j’ai eu cet échange avec des couples – de tous âges, ce n’est pas un paramètre particulièrement pertinent – qui « étaient rendus là ». Je fais généralement le détour de demander c’est où, ce « là » là… Funny enough, c’est souvent une réponse différente pour l’un et pour l’autre. Et parfois, la distance qui sépare les deux réponses est telle que l’imminence du danger ne peut être ignorée. Un soir, Chérie et moi avons même suggéré au couple avec qui nous discutions depuis un moment qu’ils devraient probablement prendre le temps d’explorer le thème du libertinage ensemble encore plus, avant de se lancer dans l’expérimentation. Il était clair, ce soir là, que monsieur et madame ne venaient chercher la même chose.

Un autre soir, un jeune couple nous a vanté leur communication, leur ouverture et leur « égalité » dans le désir d’explorer l’ouverture de leur sexualité. Quand plus tard les mots ont laissé place aux corps, il est là aussi devenu apparent que la communication en question n’avait pas été un échange, mais deux monologues.

Du haut de mon absence complète de formation en psychologie, je consens que mes propos n’ont que valeur de philosophie de foire. Mais plus j’observe, plus j’écoute, plus je suis convaincu que l’asymétrie sexuelle porte une part de responsabilité terriblement plus importante dans nos malheurs amoureux et sexuels que ce que nous imaginons.

Vous ne serez probablement jamais « égal » à votre partenaire. Parfois en avance, parfois à la traîne, mais jamais – ou alors si rarement – exactement au même point dans vos attentes. Pensez, dans votre communication intime, à laisser à l’asymétrie de vos désirs toute la place dont elle a besoin pour se corriger.